Loin des cameras et du show médiatique qui a enthousiasmé les Africains ce 8 octobre et a flatté à haute amplitude leur résonance émotive habituelle, le Sommet de Montpellier a caché dans les interstices d’un ouvrage de 142 pages le clou présent de la trappe Eurafricaine à venir.
Stratégie de la Dissimulation
En effet, sachant que les africains grands publics ne lisent pas beaucoup les documents arides relatifs à la science et les rapports de mission chiffrés, ceci par paresse scientifique, les promoteurs de la nouvelle formule France-Afrique rebaptisée Afrique-France ont, sans crainte deux jours auparavant, diffusé dans la masse le volumineux ‘’Compte rendu de Dialogues’’; sachant que personne d’ordinaire en Afrique ne le lira de bout en bout.
Sur les 142 pages du document clé, seuls 11 pages disent l’essentiel. Ces 11 pages sont bien dissimulées vers la fin du dossier, loin des yeux des petits lecteurs magrébins et subsahariens qui n’ont de curiosité et d’appétit que pour la lecture facile et hâtive. Il faut donc avoir le courage et la patience géologique d’un corail pour parcourir les 113 premières pages consacrées à un diagnostic général, du ‘déjà vu’ et redondant, avant d’arriver à l’os, là où les propositions concrètes sont faites, à partir de la page 114.
Dans ‘’leurs propositions’’ – car il faut encore que ce soit réellement les leurs – Achille Mbembe et son équipe d’intellectuels et de jeunes activistes qui sont choisis ou ‘élus portes paroles’ de la nouvelle Afrique ont présenté de bonnes offres alléchantes. Mais ces offres, à voir de près, ne font que la part belle à la France et par ce truchement à l’Europe.
Nos frères ‘choisis’ adoubent carrément une invite à la France de mieux revenir en Afrique, juchée sur son cheval de bataille séculaire l’AFD (Agence Française de Développement), sous un autre nom, pour exécuter des projets socioculturels clés en main qui indirectement ouvriront la voie à un déploiement de l’Union Européenne pour une exploitation économique plus rentable de l’Afrique.
Au passé, en 1884 en Europe c’étaient les diplomates et les chefs d’Etats européens qui s’étaient réunis entre eux à Berlin pour dépecer l’Afrique et élaborer un plan collectif de déploiement coordonné pour soumettre et exploiter le continent ‘vierge’ à leurs yeux. Et aujourd’hui en 2021, soit près de 150 ans après, ce sont des jeunes activistes Africains et des têtes instruites africaines lavées à la culture européenne et assimilés à la vision occidentale du monde qui, eux-mêmes, sont rassemblés en Europe à Montpellier pour soumettre un plan de redéploiement, mentalement plus approfondi, de l’Europe sur Afrique.
Résumons ; l’Europe en deux temps trois mouvements vient de leurrer un peu plus d’un millier de jeunes et intellectuels africains en France à Montpellier pour leur faire bavarder face à une autorité européenne placide, le président français Emmanuel Macron ; leur offrant donc l’occasion de déverser leur bile, dire des vérités, verbaliser directement leurs ‘rancœurs’ sur un exutoire officiel pour opérer leur catharsis affective et ainsi libérer symboliquement leur frustration identitaire de peuple exploité, puis en sous-main leur faire signer et légitimer un projet de redéploiement en une deuxième couche suave encore à l’avantage de l’Europe sur l’Afrique ; en ce 21e Siècle.
En fait on est loin de douter que les interventions des 11 jeunes portes paroles africains sélectionnés et baptisés ‘’pépites’’ soient des exercices spontanés. Pour celui qui a lu les propositions contenus dans le Compte rendu de Dialogues présenté par Mbembé et al, ces interventions enthousiastes paraissent chacune structurée autour de l’une ou l’autre des 13 propositions du document.
C’est voir et comprendre combien l’évènement de Montpellier est bien un scenario relativement travaillé en studio avec un casting profilé avant son exécution publique. La présence d’ailleurs de ressortissants anglophones africains au sommet prouve que c’est un projet continental, une vision eurafricaniste.
Le Projet Eurafrique
Dès la page 5 du document de Compte Rendu d’Achille Mbembe et al, on peut lire l’affirmation suivante :
« Face à un contexte politique mondial caractérisé par la recrudescence de la concurrence géopolitique, l’hypothèse d’un axe afro-européen n’a jamais été aussi pertinente. »
On voit donc que ce n’est pas face à la France seule que les panafricains souverainistes vont avoir affaire, mais se sera face à toute l’Europe unie. Dans le document, L’Union Européenne, comme acteur majeur des déploiements à venir en Afrique, est citée plus de cent fois sur 72 des 142 pages.
En fait le sommet de Montpellier, dans une mesure, n’est qu’un mini acte dans un grand programme visionnaire d’une géopolitique futuriste tracée et ourdie par la France et l’Europe depuis l’année 1933. L’expression et le plan eurafricaniste viennent de Eugene Guernier, expert ex sciences politiques français, en 1928. Le but est de faire de l’Afrique, dans un futur plus ou moins proche, un « … Champs d’expansion de l’Europe ». Liniger-Goumaz élaborera plus tard à fond cette idée en 1972 dans ‘’Eurafrique , Utopie ou Réalité ?’’ .
Avant Achille Nbembe c’était Léopold Sédar Senghor en tant qu’intellectuel qui servit à la France en 1955 comme agent commercial pour vendre le projet de l’Eurafrique à ses frères Africains à travers ses belles strophes comme celle-ci: « … L’intérêts du problème de l’Eurafrique est que les deux continents, parce qu’opposés, comme l’homme et la femme, sont complémentaires, qu’entre les deux blocs antagonistes (USA-URSS ndlr) qui ne croient plus qu’à la violence et se préparent à y recourir, ils peuvent constituer une force plus grandes de culture, partant de paix.» dans ‘’Marchés Coloniaux du Monde’’.
Ainsi donc au milieu du siècle passé au moment où les africains dormaient encore dans leurs huttes, cases et chaumières, l’Europe, elle, pensait marchés coloniaux et champs d’expansion. Aujourd’hui encore où les masses africaines somnolent dans des enclos coloniaux appelées Etat-Nations artificiellement tracés par l’étranger européen et mal gouvernés par des chefs d’Etat médiocres pour la plupart, l’Europe, portant un masque gaulois, organise son redéploiement sur l’Afrique pour conserver une ascendance culturelle et, dans ce sillage, s’octroyer une prédominance économique durable.
L’un des projets phares des ‘’propositions’’ d’Achille Mbembe et al est une Maison des Mondes Africains et des Diasporas à construire … en France, pas en Afrique. Là on s’interroge. Le budget total retenu pour certaines des 13 propositions du document tourne autours de 110 Millions d’Euro.
La population de 1 Milliard d’Africains est-elle incapable de penser un projet socio-culturel continental novateur et de travailler et lever ce fond abordable pour financer les actions articulées tout au tour ? Les panafricains souverainistes ont du beau boulot à faire … face à l’ Eurafrique en marche, avec au pilotage la France jouant à Ulysse le rusé sur le chemin Troie.
Michel KINVI,
New York, le 09 octobre 2021
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