Le 5 juillet 1960 à Léopoldville, actuel Kinshasa, le général belge Émile Janssen déclare : « Après l’indépendance, c’est avant l’indépendance ». Cinquante quatre ans après ce propos, l’Afrique demeure pillée et maintenue en « esclavage » par les nations prédatrices se faisant appeler par abus de langage « communauté internationale ». Et pour cette année 2014, « La gloire des imposteurs, lettres sur le Mali et l’Afrique » co-signé par la malienne Aminata Dramane Traoré et le sénégalais Boubacar Boris Diop, est l’ouvrage le plus courageux publié en France sur le sujet. Pleine de révélations généralement censurées par la presse dite occidentale et ses relais « nègres », l’œuvre s’attache à déconstruire les mensonges savamment distillés par ceux qui se sont auto-proclamés humanistes pour couvrir leurs crimes.
Des pompiers pyromanes
L’axe central de ce travail est la énième intervention de l’armée française en Afrique au Mali dénommée « Opération Serval ». Mais on y découvre aussi les raisons inavouées des autres interventions occidentales en Cote d’Ivoire, en Libye, en Irak, en Syrie ou encore leur passivité en République Démocratique du Congo. Cet essai qui se déroule sur 231 pages est le contenu des lettres que s’échangent les deux auteurs entre le 8 janvier 2012 et le 21 octobre 2013. A la question de savoir si l’intervention de l’armée française au Mali était humaniste, les écrivains progressistes répondent par la négative.
Un point de vue d’ailleurs partagé par le journaliste d’investigations Antoine Glaser. Pour ce dernier, « il ne faut pas croire que l’armée française est en Afrique pour faire de l’humanisme. Elle n’y est pas pour les beaux yeux des africains, mais pour les intérêts de la France ». L’objectif de Paris étant de s’installer dans le Nord du Mali au sous-sol riche en ressources naturelles telles que l’or. D’où la volonté d’établir une base militaire à Tessalit. « Notre mal Boris, tient en ces mots : absence de souveraineté. Le monde entier peut constater chaque jour que nous ne sommes pas libres de choisir nos dirigeants et que l’orientation de nos politiques économiques nous échappe complètement », écrit Aminata Dramane Traoré à Boubacar Boris Diop.
Un printemps Arabe vampirisé par l’agenda pervers des occidentaux
Les auteurs font remarquer que les pays d’Afrique francophone sont en piteux états et les populations croulent dans la misère malgré les immenses richesses de ces états à l’indépendance purement verbale. Les mécanismes et acteurs du système colonial sont toujours en cours. Un « employeur » installe et maintient ses « employés » au pouvoir afin de se servir continuellement en matières premières. Une propagande de désinformation et d’illusion accompagne ses desseins : « On ne peut plus ouvrir sa radio ou regarder la télé-il s’agit souvent d’ailleurs des chaînes françaises de propagande, style RFI ou France 24- sans y entendre pontifier un de nos adeptes du libéralisme pur et dur ». Un modus operandi d’exploitation et d’asservissement bien huilé.
L’Élysée, l’État-major de l’armée, les Entreprises françaises, l’Agence Française de Développement et le Franc Cfa qui appartient à la France, « privent les peuples africains de leur souveraineté ». Les noms peuvent même changer mais les objectifs demeurent les mêmes. On remplace Coopération par Développement, Cellule africaine par un nom plus light en y mettant une femme à sa tête, rien n’y change. Et la Françafrique a également ses chevaliers de la plume tel Jean-Michel Séverino, chargé « d’alimenter le débilitant fantasme de notre émergence ».
Le panafricanisme à l’envers
Évidemment, l’incompétence, les responsabilités et les turpitudes des autorités africaines, véritables laquais de Paris ne sont point éludées. Ainsi, dans sa lettre du 4 septembre 2013 à Aminata, Boris précise : « C’est ce qu’on appelle le panafricanisme à l’envers ! Nos leaders s’y mettent à plusieurs pour détruire méthodiquement l’Afrique, un pays après l’autre, et vogue la galère ! »
Ce livre est une lumière sur une violente agression militaire de l’Afrique subsaharienne se présentant comme une odyssée morale, généreuse et désintéressée. Et au delà du Mali, il met à nu les schémas directeurs de la même imposture ailleurs dans le monde.
Pour tout dire, ces réflexions poursuivent le travail continu d’une « littérature de la vérité » dans laquelle se sont distingués les progressistes comme François-Xavier Verschave, Odile Tobner, Ferdinand Oyono, Raphaël Granvaud avec son ouvrage interpellateur « Que fait l’armée française en Afrique ? ». De même que Bruno Boudiguet et son écrit : « Françafrique 2012 : la bombe à retardement » ou encore l’association Survie qui vient de publier « Françafrique : la famille recomposée »…Dans ce combat pour la liberté et la dignité humaine qui ressemble à celui de David contre Goliath, Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop demeurent optimistes en une Afrique qui renaîtra de ses cendres après avoir sonné l’hallali de l’imposture.
Franck CANA
« La gloire des imposteurs, lettres sur le Mali et l’Afrique », d’Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop, éditions Philippe Rey à Paris, 231 pages, 17 euros.
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