Au Togo, les litiges fonciers occupe une part importante dans les affaires de justice. Ils sont estimés à plus de 60%. Dans presque toutes les localités du pays, ces types de conflits donnent lieu à des pertes en vies humaines et d’autres conséquences.
Plus récent encore, le canton d’Abobo en souffre et le Comité de Réflexion et d’Action pour la Promotion des droits de l’Homme (CRAPH) est inquiet de ce qui peut en découler. Il fait appel aux autorités compétentes afin qu’elles se penchent sur la mise en mal du vivre ensemble qui évolue en mode silencieux.
Déclaration du CRAPH relative au litige foncier d’envergure communautaire à Lébé-Lowoè dans le canton d’Abobo (préfecture de Zio)
Le Comité de Réflexion et d’Action pour la Promotion des Droits de l’Homme (CRAPH) s’inquiète des conséquences dramatiques à l’échelle communautaire qui s’aperçoivent dans le litige foncier opposant les collectivités ZOUMAKPE-DARA et GUIDIGNA à Lébé-Lowoè dans le canton d’Abobo (préfecture de Zio).
Cette véritable crise sociale sans précédent qui se profile à l’horizon malgré les différents procès qui se succèdent tire son fondement à partir du moment où chaque collectivité, se réclamant de la vraie lignée des premiers occupants, s’attribue un domaine de 58 hectares au détriment de l’autre, nonobstant leur cohabitation ancestrale naguère paisible empreinte de familiarité avérée. Des témoignages des limitrophes, il en ressort qu’elles se sont tellement entremêlées au point que cette division artificielle n’était en aucun cas prévisible.
En effet, du palais royal de la localité à la Cour Suprême, l’affaire a connu toutes les étapes juridictionnelles. Au regard des témoignages recueillis sur le terrain ainsi que d’autres investigations, la Cour d’Appel de Lomé a rendu un arrêt dont l’impartialité donnait l’espoir du retour à la sérénité. Avant cette décision, le chef traditionnel du milieu, tenant compte des us et coutumes, a opté lui aussi au partage équitable. Autrement, et le chef traditionnel et la Cour d’Appel de Lomé ont proposé le partage du domaine en deux parts égales bien que la juridiction du second degré ait reconnu les biens querellés comme appartenant à la collectivité ZOUMAKPE-DARA sur la base du premier occupant. A contrario, le jugement du tribunal de première instance de Tsévié et l’arrêt de la Cour suprême de Lomé attribuent plutôt cinq (05) hectares à ZOUMAKPE-DARA et demandent à GUIDIGNA de s’emparer du reste.
En rappel, un premier partage portant sur la première zone litigieuse, dénommée « Agblédjin », a été effectué par le chef traditionnel du milieu, décision appuyée plus tard par le jugement du Tribunal de première instance de Tsévié. Cependant, le même Tribunal, dans le même jugement, rejette le principe de partage équitable à appliquer à la seconde zone dénommée « Zogbé », lieu abritant les habitats des deux collectivités il y a de cela des siècles.
S’il est vrai que l’arrêt de la Cour suprême est inattaquable, il n’en demeure pas moins vrai que la décision, bien que légale, souffre par contre d’une terrible illégitimité. Conséquence : les deux camps antagonistes, sans tapage médiatique, se préparent, chacun à son niveau, pour défendre son territoire. Ce, en raison de la difficulté pour toute localité érigée depuis des temps ancestraux avec ses réalités démographiques, économiques, sociologiques, traditionnelles, etc. de s’installer sur une superficie plus ou moins étroite à l’instar de cinq (05) hectares que certaines juridictions attribuent à la collectivité ZOUMAKPE-DARA.
Or, lors de la lecture le 21 décembre 2017 du rapport de mise en délibéré par monsieur le Conseiller à la Chambre Judiciaire de la Cour suprême, l’on notait clairement : « (…) Dans de pareilles circonstances des faits souverainement constatés, les juges d’appel ne sauraient nullement conférer la propriété du terrain litigieux à l’une ou l’autre des parties litigantes.
Dans ces conditions, seul le partage par moitié s’impose en lieu et place d’une attribution exclusive de l’ensemble du domaine foncier litigieux à une seule partie.
En tout état de cause, les juges d’appel en tant que juges du fond ont usé de leur pouvoir d’appréciation souveraine des éléments de faits fournis par les parties dans leurs prétentions respectives lesquelles sont combinées par les constatations matérielles.
L’on ne saurait donc reprocher à un tel arrêt un quelconque défaut de motifs tirés d’une prétendue mauvaise motivation, tant l’arrêt est légalement justifié… »
Loin de nous, l’idée de remettre en cause l’arrêt de la Cour suprême en raison de son caractère péremptoire, nos contacts avec les collectivités litigantes nous permettent d’apercevoir aisément des remous sociaux en perspective aux conséquences dramatiques si un tel arrêt est exécuté sans ménagement, c’est-à-dire en faisant abstraction des mécanismes plus adoucissants et conciliateurs en rapport avec nos us et coutumes.
Nous sommes d’autant plus interpelés car, il ne sert à rien de privilégier l’aspect judiciaire du problème quand on se rend compte que les méandres des us et coutumes auxquelles s’arc-boute la vie des collectivités révèlent des réalités parfois en lien ambigu avec certains principes de droit moderne.
Nous sommes requinqués dans notre conviction à privilégier plutôt le dialogue et le consensus car, toute une communauté essentiellement agricole ne saurait se déplacer vers une superficie dont l’étiolement ne suffirait en aucune manière aussi bien pour son habitat que pour l’agriculture.
Pour l’heure, une tierce opposition introduite dans le dossier a permis au tribunal de première instance de Tsévié d’ordonner un sursis d’exécution de l’arrêt de la Cour suprême.
Le Comité de Réflexion et d’Action pour la Promotion des Droits de l’Homme (CRAPH) demande expressément aux autorités compétentes de saisir cette occasion pour trouver des voies et moyens pour la sauvegarde de la paix et de la cohésion sociale.
Fait à Lomé, le 19 novembre 2018
Pour le Bureau Exécutif
Le Président
Dosseh SOHEY